Gran Torino, grand cinéma

Il y a des gens dont la seule existence est un réconfort pour d'autres. Pour moi, Clint Eastwood est de ceux-là. Film après film, il vient me rappeler que l’espèce humaine n’est pas complètement foutue, qu’il y a encore des individus qui « pensent droit » et s’efforcent, par le biais de leur métier et de leur art, de se rendre utiles à leurs semblables.

En sortant d’un film de Clint Eastwood, vous ne risquez pas de vous demander pourquoi il l’a fait, ni ce qu’il voulait dire. Ce qui le distingue de tous les autres réalisateurs -et c’est probablement pourquoi il a souvent été défini inclassable- c’est qu'il ne se contente pas de nous donner du divertissement de qualité: derrière chacun de ses films, il y a "l'intention juste" (comme diraient les bouddhistes): le discours moral sous-tend chacune de ses réalisations. Clint Eastwood est un grand moraliste, au sens le plus noble du terme: un homme qui observe le monde autour de lui, s’interroge sur l’être humain et son devenir, sur cette spécificité de notre espèce que Confucius appelait « vertu d’humanité »… et nous propose, avec beaucoup de talent et sans la moindre emphase, quelques marches à suivre.

Gran Torino est un brillantissime exemple de la magie du cinéma : ou comment, en deux prises de vue et deux ou trois phrases, on peut faire passer des notions qui dans un livre demanderaient des pages.

Gran Torino nous parle avec une subtilité remarquable de l'intolérance et du racisme imbécile, des deux faces de la virilité (la noble et l’ignoble, peut-être indissociables…), du rôle crucial du père, de l’importance de la tradition et du devoir de transmission… Gran Torino nous montre aussi qu’il n’est jamais trop tard pour bien faire: un père raté peut, au soir de sa vie, devenir un merveilleux éducateur, à condition de reconnaître ses limites et ses erreurs et de comprendre que le maître a beaucoup à apprendre de l’élève. À condition de savoir choisir sur qui investir ses efforts et distinguer le bon grain de l’ivraie. L’important étant d’œuvrer pour ceux qui resteront après nous, laisser quelque chose derrière soi, quitter ce monde en se sentant un maillon de la grande chaîne, en ayant fait sa part. On peut alors mourir en paix.

Gran Torino est un film immense. À la fois chrétien, bouddhiste, confucéen..., son message est universel.

Merci Clint, et très longue vie à toi.