La tortue est un animal fabuleux, et non seulement en tant qu'héroïne de la célèbre fable, et symbole depuis plus de trois siècles de la supériorité de la lenteur sur la vitesse. Cet extraordinaire animal a également permis à votre obscure servante, auteure d'un modeste blog jusque là fréquenté par un groupe -sélectionné mais restreint- d’aficionados, de goûter aux frissons et aux vertiges de la notoriété.
Dans la seule journée de mardi 18 mai, "Vive la lenteur" a totalisé 1.546 « pages vues ». Et ce n’est pas fini: aujourd’hui mercredi, mon score était de 430 pages à 15 h, excusez du peu.
« D’où vient ce prodige, quelle en est la cause ? » se serait demandé l’excellent Augustin d’Hippone. Ce prodige vient de l’édition online du journal "Le Monde", qui signalait hier dans sa Revue de Web ma « Tortue numérique » (c’est leur titre, pas le mien). J’exprime toute ma reconnaissance au responsable de cette rubrique, que je n’ai pas le plaisir de connaître mais dont le choix -judicieux- m’a permis de passer en un clin d’œil « des écuries aux étoiles », comme disent les Italiens (dalle stalle alle stelle), et du quasi anonymat au fameux quart d’heure de célébrité, justement prédit par Andy Warhol… et même un peu plus puisque, plus de 36 heures après, le quart d’heure dure encore. Pouvoir des médias, magie de l’internet: près de 2.000 internautes on pu, en un seul clic, admirer la petite tortue de Tolède. (Combien auront lu ma prose ? C’est une autre histoire, mais on a le droit de rêver).
Mais revenons à La Fontaine. Il ne savait probablement pas qu’en Chine ancienne, la tortue d’eau représentait rien moins que l’allégorie du monde : la partie supérieure de sa carapace symbolisant la voûte du ciel, la partie ventrale ou plastron évoquant la terre, que les Chinois représentaient sous forme d’un carré.
Mais les vertus de la tortue ne s'arrêtaient point là. Au Pays du Milieu cet animal était également un symbole de clairvoyance et de divination: pour établir une communication avec l’Au-delà, les chamans appliquaient un tison ardent sur le plastron d’une carapace de tortue ; la taille et la forme des craquelures qui en résultaient étaient la réponse des Esprits aux questions du monarque ou de ses conseillers. Le devin résumait l'oracle au moyen de signes mnémotechniques qu’il inscrivait à côté des fissures : ainsi serait née l’écriture chinoise. Ainsi est né le Yi Jing (ou Yi King), le grand livre de sagesse qui répond aux questions qu’on lui pose. Lentement mais sûrement, le Yi Jing a traversé les siècles pour parvenir jusqu’à nous.
« ELLE PART, ELLE S’ÉVERTUE, ELLE SE HÂTE AVEC LENTEUR...»
IL est intéressant de noter que les deux visions -la française et la chinoise- se rejoignent; plus encore que sa lenteur, La Fontaine célèbre la constance et la persévérance de la tortue de terre; consciente de ses limites, elle "part à point" et ne faiblit jamais; elle sait que c'est seulement grâce à un effort régulier et prolongé qu'elle pourra parvenir à son but. Or il se trouve que les deux vertus les plus célébrées du Yi Jing sont justement la constance et la persévérance. À longueur d’hexagrammes, le Livre ne cesse de nous rappeler qu’elles sont la voie vers la sagesse, et la clé des réalisations durables.
Parmi les maintes vertus de cet incomparable animal on pourrait ajouter (dans sa version terrienne): la prévoyance -elle ne va nulle part sans sa maison-, l’instinct de conservation -en cas de danger, elle se retire prudemment sous sa carapace- la discrétion -silencieuse, elle évolue au ras du sol et se nourrit de pâquerettes; la longévité -certaines espèces vivent au-delà de 100 ans- et pour finir (mais cette conviction n’engage que moi) la loyauté : à qui aura su l’apprécier, longtemps et à sa juste valeur, elle saura, le moment venu, montrer toute sa reconnaissance.
Je conclurai avec une question : face à un si brillant modèle, qui aurait encore envie d’aller vite ?
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