9 juin 2010, 18h- Vous pédalez tranquillement le long de la Promenade des Anglais à Nice, bien décidée à profiter de votre balade de fin d’après-midi, après les longues heures passées devant votre écran d’ordinateur. Toute à votre rêverie, vous n’avez pas remarqué le nombre insolite de badauds qui scrutent le ciel, parfaitement immobiles, comme s’ils attendaient quelque chose. Tout d’un coup, un terrible grondement se fait entendre et la première escadrille apparaît. S’agirait-il d’un spectacle aérien ? Oui, bien sûr, mais vous n’en saviez rien: vous ne lisez pas Nice-Matin et de toute façon la chose ne vous concerne pas : en fidèle adepte de Brassens, vous n’êtes pas portée sur les cocoricos et les flonflons patriotiques, de quelqu’ordre qu’ils soient. Vous n’allez tout de même pas vous arrêter pour des avions de guerre, symboles de bombardements, terreur et destruction. Vous continuez donc votre chemin, sur votre petit vélo, en fredonnant "Le jour du Quatorze Juillet, Je reste dans mon lit douillet. La musique qui marche au pas, Cela ne me regarde pas".
Vous ignoriez que le 9 juin 1944, lors de la bataille de Normandie, l’Air Force américaine repoussa les chasseurs de la Luftwaffe au dessus de Lion-sur-mer. Et hier soir à Nice, l'armée de l'air était bien décidée à vous le rappeler et à capturer l’attention du public, y compris celle des cyclistes antimilitaristes. Et ce fut une succession de boucles, de moulinets, de jaillissements arrivés de nulle part, d' apparitions et de disparitions entre deux nuages... Ce fut surtout un happening artistique d’une rare beauté. Les signatures colorées que les moteurs laissaient derrière eux ne duraient que quelques secondes, époustouflante illustration de la notion d’impermanence, qui comme chacun sait est à la base même de l’existence.
Bien sûr, vous vous êtes arrêtée pour regarder, comme tout le monde («sauf les aveugles, bien entendu» ). Vous avez commencé, badaude entre les autres badauds, à mitrailler vous aussi le ciel et ces talentueux pilotes, artistes involontaires qui hier soir ne mitraillaient ni ne bombardaient rien du tout, mais rendaient un bien bel hommage à leurs aînés qui vinrent libérer la France, ne laissant cette fois-ci que de gracieux coups de pinceaux dans un ciel azuréen tourmenté. Comme pour vous suggérer que la beauté peut surgir de n'importe où, même des moteurs de l'armée de l'air. Que tout préjugé se doit donc d'être remis en question, et que Brassens lui-même aurait certainement apprécié ces éphémères visions, même tricolores, et y aurait peut-être trouvé la matière pour une chanson.
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