Une vieille et très chère amie française, devenue espagnole par la force des choses, me téléphone hier , non pas de sa maison de Tolède mais de Naples. Elle m’annonce qu’elle s’apprête, avec son mari et deux amis, à visiter Pompei et Pæstum, puis la Costiera Amalfitana. Ayant vécu 25 ans dans la Botte, je lui exprime toute mon envie : connaissant son goût pour les belles choses, je ne doute pas qu’elle fera des expériences esthétiques inoubliables.
S’apercevra-elle, lors de son somptueux parcours touristique, que ce qu’elle verra n’est qu’une une splendide façade? Un décor de théâtre que depuis plusieurs siècles les étrangers choisissent pour y mettre en scène leurs plus belles histoires, éprouver des émotions intensifiées par la beauté omniprésente, se sentir exister un peu plus qu’ils n’en ont l’habitude sur ce fond sublime et merveilleusement inspirant qu’est la péninsule italique. Ah ! soupirer sur le Pont des soupirs, déclarer sa flamme à Vérone, se laisser envahir par le syndrome de Stendhal à Florence, voir Naples et mourir… Qui pourrait se vanter d'y avoir résisté?
Mais la Bella Italia des rêves étrangers s’arrête là. Derrière ce magnifique décor, il n’y a que la misère d’un pays qui n’a jamais vraiment existé en tant que nation, un « paese bambino » rongé par la déliquescence de la sénilité sans être jamais vraiment entré dans la phase adulte. Il y a quatre-vingts ans, tous les Italiens -ou presque- acclamaient le Duce, la main fièrement tendue en avant. Quinze ans plus tard, la même foule hurlante trépignait d’excitation devant les dépouilles de Mussolini et de sa maîtresse, pendues par les pieds comme des animaux de boucherie, sur la piazza Loreto à Milan. Leurs dignes descendants, après avoir voté à trois reprises pour Berlusconi, ce microduce format entrepreneur véreux, qui fait la risée des médias internationaux et la honte des rares cerveaux pensants transalpins, ceux-là mêmes s’apprêtent à fouler aux pieds leur idole d’hier... symboliquement du moins, car il est fort douteux que le Cavalliere se laisse immoler. Aujourd’hui plus que jamais, l’argent peut tout.
Pour le reste du monde, l’Italie est un Disneyland, avec la beauté et la culture en sus. Un parc d’attractions sublime qui enchante à tel point ses visiteurs qu’il les prive de toute faculté de jugement. Car -bon sang de bon sang !- il suffirait de regarder une seconde au-delà des colisées et des forums romains, des églises baroques et des fabuleux paysages toscans, des Capri c’est fini, des spaghetti al dente et des valpolicella frizzanti, pour se rendre compte que la réalité est toute autre.
Mais rien n’y fait. La première caractéristique humaine étant l’aveuglement -ce « ne pas vouloir voir » que toutes les traditions de sagesse, et le bouddhisme au tout premier rang, ont de tout temps épinglé comme la source de tous nos maux, pourquoi s’étonner que le reste du monde continue à se raconter de belles histoires ? « Touche pas à mon Italie ! », tel est le cri unanime des non Italiens, têtus et bornés comme ces enfants qui refusent d’admettre que leur beau jouet est cassé. Et peut-être même qu'il n'a jamais existé.
Entre temps les Italiens se préparent à livrer leur pays à l’allié d'hier devenu rival n°1 de Berlusconi, un ex-fasciste qui a paraît-il renoncé à ses virulences juvéniles, et a l’indéniable mérite de ne pas passer ses nuits avec des prostituées mineures.
Bonne chance à l’Italie, et bons rêves à tous ses fans étrangers.