Si je devais définir notre époque en un seul mot, je dirais: ACCÉLÉRATION. Aujourd’hui « vite » est synonyme de bon, de bien, d’absolument désirable, et « plus vite » est devenu une nécessité, presque une question de survie. La lenteur, quant à elle, est apparentée sinon au mal absolu, du moins au fastidieux, à l’agaçant, voire à l’intolérable. Dans cette course effrénée vers le toujours plus vite, notre vieux pays se trouve dans le peloton de tête : le TGV a aboli la géographie, et la distance Paris-Marseille n’est plus 900 km, c’est 3 h. À partir du 10 juin, Strasbourg ne sera plus à 500 km mais à 2h.20 de la capitale (au lieu de 4 h). Et un nouveau record de vitesse a été battu mardi dernier sur un tronçon du futur TGV Est-européen : 553 km/h. au compteur !
Quant au numérique, nous nous étions tout juste habitués au haut débit et déjà nous désirons le très haut débit, et l’objectif à rejoindre n’est plus 20 mais 30 et même 100 Mbits/sec.. Quant à savoir ce que nous en ferons, personne n’en a la moindre idée mais qu’importe : « c'est le débit qui permettra aux utilisateurs d'inventer les fonctionnalités et les services de demain » (voir lien). Ce qui revient à dire que l'on n'invente plus les outils pour satisfaire des besoins existants, mais que les outils nous portent à nous inventer de nouveaux besoins. Il y a de quoi rester perplexe, et c'est le moins qu'on puisse dire.
MAIS OÙ COURONS-NOUS?
«Qui me demanderait la première partie en amour, je répondrais que c’est savoir prendre le temps ; la seconde de même, et encore la tierce : c’est un point qui peut tout». Montaigne III-5
L’acquisition -récente- d’un Macbook et l'accès à l'ADSL ont transformé ma vie : je reçois des vidéos, de la musique, des photos, des films... Bien entendu, je suis fascinée. Fascinée et en même temps inquiète. La rapidité, l’immédiateté avec laquelle on obtient et transmet l’information me semble au-delà des capacités d’assimilation du cerveau humain (du mien, du moins). L'excitation cohabite avec un malaise sous-jacent, ce qui me semble assez logique. Plus l’accélération augmente, plus l’homme s’éloigne de la nature, de ses cycles et de ses rythmes. Et même si la théorie des biorythmes ne convainc pas tout le monde, comment pourrait-on penser qu’il n’y aura pas d'effets collatéraux? Notre cerveau et notre système nerveux, faisant partie de la nature, ont été programmés pour être en résonance avec la croissance des plantes, les phases de la lune, l’alternance des saisons etc. En Chine ancienne, le rôle principal de l’empereur était d’assurer que la vie et les activités des hommes étaient conformes aux rhytmes et aux cycles de la nature : il s’en rendait garant en établissant chaque année le calendrier impérial, qui fixait les dates de tous les événements importants en fonction des mouvements des astres et des phases de la lune. Immanquablement, quand le Prince oubliait ses responsabilités de Fils du Ciel et surtaxait la population, contraignant les paysans à des rhytmes harassants, la dynastie commençait à décliner, puis disparaissait. Comment pourrions-nous donc éviter le clash ?
Et les photos numériques ? N’ont-elles pas révolutionné notre façon d’appréhender le monde ? Clic je prends la photo, clic-clic je l'ai sur mon écran, clic-clic-clic je l'envoie où je veux, à qui je veux.
Qui se souvient de l’émotion de l’attente, entre le moment où nous allions déposer notre pellicule au magasin et celui où nous allions le récupérer ? De l’excitation, de la crainte, souvent de la déception, avec lesquelles nous ouvrions l’enveloppe... Aujourd’hui nos photos sont de meilleure qualité, nous en profitons immédiatement mais bizarrement, le plaisir a diminué. La vitesse et la facilité nous ont rendus blasés.
Et l’amour, dans tout ça ? Conditionnés comme nous le sommes au « toujours plus vite », finirons-nous par vouloir jouir aussi rapidement que nous naviguons sur la Toile ? Clic je te remarque, clic clic je t’allume, clic clic clic je te fais jouir.... Non, je reste résolument du côté de Montaigne: vive la lenteur! Et j'ajoute que ce qu’il dit à propos de l’amour peut s’appliquer à une foule de choses. À tout, en fait.
L’ACCÉLÉRATION EST INÉVITABLE
Voilà ce que nous en dit Michael Crichton*...
« L’évolution de la vie sur notre planète est une illustration précise de ce phénomène d’accélération. L’apparition de la vie, sous la forme d’organismes unicellulaires, remonte à quatre milliards d’années. Rien ne change pendant deux milliards d’années. Puis le noyau apparaît dans la cellule. Quelques centaines de millions d’années plus tard, on passe aux organismes pluricellulaires. Encore quelques centaines de millions d’années et la diversité explose et s’accroît. Il y a 200 millions d’années, on trouve de grands végétaux et des animaux complexes, les dinosaures. L’homme arrive sur le tard. Le premier singe se tient debout il y a quatre millions d’années et les ancêtres de l’homme peuplent la Terre deux millions d’années plus tard. Les peintures rupestres n’ont que 35.000 ans.
Une accélération à couper le souffle. Si on condense l’histoire de la vie sur la terre en 24 heures, les organismes multicellulaires n’apparaissent qu’au bout de douze heures, les dinosaures pendant la dernière heure, les premiers hommes à 40 secondes de la fin et l’homme moderne dans la dernière seconde. ..Il est impossible d’éviter l’accélération : elle fait en quelque sorte partie intégrante du système ».
*« La proie » (Robert Laffont 2003)
... et ce que rapporte Alain Daniélou**
Le cycle actuel de l’humanité –le Kali Yugä ou ère des conflits- commence après un grand déluge, dont toutes les civilisations ont conservé le souvenir, qui aurait eu lieu environ 60.200 ans avant le début de l’ère chrétienne. Le crépuscule du Kali Yugä aurait commencé en 1939 de notre ère. La catastrophe finale aura lieu durant ce crépuscule (...).
Les Purâna mentionnent le changement dans le comportement moral des hommes à partir de l’aube du Kali Yugä et décrivent les signes qui caractérisent la dernière période, le crépuscule du Kali Yugä.
La période qui précède le cataclysme qui doit détruire l’espèce actuelle des humains est marquée par des désordres qui sont les signes annonciateurs de sa fin.
Shiva ne peut détruire que les sociétés qui se sont éloignées de leur rôle, ont transgressé la loi naturelle. (...) Nous approchons aujourd’hui de la fin du Kali Yugä, l’âge des conflits, des guerres et de génocides, des malversations, des systèmes philosophiques et sociaux aberrants, du développement maléfique du savoir qui tombe dans des mains irresponsables. Les races, les castes se mélangent. Tout tend à se niveler et le nivellement, dans tous les domaines, est le prélude de la mort. À la fin du Kali Yugä ce processus s’accélère. Le phénomène de l’accélération est l’un des signes de la catastrophe approchante.
**« La fantaisie des dieux et l’aventure humaine » (Éditions du Rocher 1985)
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