Lu aujourd’hui dans Le monde.fr , sous le titre "Michel Blazy, plasticien d'une apocalypse des pourritures":
«C’est avant tout l'odeur qui assaille. Une bouffée âcre, qui ne quitte pas le visiteur du Palais de Tokyo habité par les étranges installations de Michel Blazy. Sur les murs, la purée de carotte s'est étalée. Craquelée, harcelée de champignons, cette peinture murale est devenue, après deux mois d'exposition, ruine rosâtre, pas même repoussante. Un peu plus loin, ce sont des tranches de bacon qui sèchent au mur et s'accumulent en une vivante mosaïque. A terre, une sculpture superpose les écorces d'oranges. Virées au noir ou au vert glauque, elles accueillent toiles d'araignées et spores de tous poils. Une microscopique déréliction, dont l'artiste s'est fait une spécialité depuis ses débuts dans les années 1990... Ses poubelles vomissent de la mousse molle... etc.»
Et moi qui croyais innover avec mes rillettes moisies dans ma note du 6 avril, intitulée «Impermanence»! Mais si je n’ai rien inventé, j'ai au moins le mérite d'être dans l’air du temps: je vous renvoie donc à mes superbes rillettes de la semaine dernière et vous propose deux facettes du même citron d’aujourd’hui que je voulais presser sur le saumon fumé, avant de m’apercevoir qu’il était déjà en partielle métamorphose (pas le saumon, le citron). Détail amusant: je l'ai photographié avant d'avoir lu l'article sur les pourritures de Blazy au Palais de Tokyo. Et à ceux que la transformation intéresse, je livre un texte écrit en 2001, juste après ma visite à la Biennale d’Art Contemporain de Venise. Que les âmes sensibles ne s'offusquent pas: il y a quelques gros mots.
POST-BIENNALE D'ART CONTEMPORAIN 2001
Des siècles durant l’art a été lié aux notions de Beau, d’inspiration venant d’un ailleurs, ou d’idéalisation du monde visible. L’artiste se servait, consciemment ou inconsciemment, d’un niveau de perception “ autre ”. En ce sens -et comme l’a très bien dit Balthus, entre autres- l’artiste n’était pas un créateur mais plutôt un véhicule, un médiateur entre le transcendantal et le monde visible. Sa représentation initiale était amplifiée par sa vision. Laquelle vision, continuait Balthus, était condamnée à rester en dessous de LA réalité ultime, mais certainement au-dessus des apparences perçues par le commun des mortels. L’art était donc lié à la notion de divin, comme le suggère également François Cheng dans «Cinq méditations sur la beauté». La vocation première de l’artiste était d’amplifier les horizons du spectateur en stimulant ses capacités perceptives et en suscitant en lui des émotions positives susceptibles de le rapprocher du sacré.
Puis Dieu est mort, les cubistes sont arrivés, le non-figuratif a envahi la scène et tout a basculé
La notion de Beau, la dimension esthétique, ont petit à petit disparu. Les “artistes” ont commencé par copier l’art tribal sans en comprendre la cosmogonie, le sens du magique, le lien avec le sacré. Il ont rejeté la notion de Beau pour proposer une représentation déformée du monde visible. Déformée mais également privée de sens.
Aujourd’hui leur travail consiste essentiellement à observer la réalité qui les entoure, la digérer, la métaboliser, pour finalement rejeter le trop-plein d’angoisse et de mal-être que ce monde de plus en plus anxiogène suscite en eux. Le résultat -ce qu’on appelle aujourd’hui “œuvre d’art”- est le produit de la digestion difficile d’un présent toujours plus angoissant.
L’artiste contemporain se soulage, au sens presque physiologique du terme. Ses productions sont comparables à des évacuations, des déjections: on se souvient de la merda d’artista de Piero Manzoni, qui en eut la géniale intuition. Si l’ «artiste» chie son angoisse, le public, quant à lui, se masturbe. Une masturbation stérile comme toute les masturbations, et de plus fortement masochiste: comment pourrait-on définir autrement le plaisir que beaucoup éprouvent à dépenser du temps et de l’argent pour contempler (parfois acheter) de la m....?
Y a-t-il une once de discours constructif, un gramme de postivité, une lueur d’espoir dans les oeuvres contemporaines? Quelqu’un a-t-il jamais parlé de la responsabilité de l’artiste? Le but déclaré et exclusif semble être d’alourdir le public avec une représentation catastrophique de la situation actuelle et de ses perspectives à court terme.
Quelle est l’utilité de cette opération ? A qui sert-elle ? Certainement pas au public. Aux “ artistes ” et à leurs marchands, à n’en pas douter.
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