OU COMMENT UN PHOTOGRAPHE MILANAIS TRANSFORME LA DÉGRADATION URBAINE EN ŒUVRES D’ART…
La beauté implique la laideur, mais la laideur peut elle aussi receler une grande beauté. Et c'est là tout le sens du travail d'Alessandro Banas, tel que lui-même le décrit dans son dossier de presse.« À pied ou à vélo, je me mets en chasse. Les planches branlantes des vieilles barrières de chantiers, les rideaux de fer recouverts de gribouillages à l’aérosol, les murs de béton élevés à la va-vite et immédiatement lézardés… Mais aussi les flancs d’églises, les socles de statues équestres, les portes cochères des nobles palazzi du centre… Aucune surface verticale n’échappe aux interventions sauvages, comme si tout, absolument tout, devait être rempli : pubs de lunettes de soleil ou de caleçons griffés, avis de recherche de chiens ou un de chats; messages d’amour pathétiques, offres de fourgons de déménageurs, de plombiers, d’électriciens, de masseuses 24h sur 24 ; éclats de peinture sortis comme par erreur d’un aérosol distrait, plan pour arriver à la pizzeria de la prochaine rue à droite…
Pas un espace qui ne soit envahi par cette folie de l’affichage et de la peinturlure, qui à son tour n’échappe pas aux outrages du temps. Mais au fait, s’agit-il vraiment d’outrages ou plutôt d’embellissements ? Car c’est le temps -et lui seul- qui sait rendre poétique la vulgarité des interventions humaines : je parle du temps qui passe, mais aussi du temps météorologique: selon qu’il a fait plus ou moins chaud ou froid, qu’il a plu ou qu’il a fait soleil, il faudra un an, six mois, parfois même une seule semaine pour que les affiches se décollent, les couleurs changent, les métaux rouillent. De quoi pouvait bien parler ce lambeau de papier où l’on distingue encore les mots « nove mesi » (neuf mois) ? Et ce cylindre de métal qui sort du mur, est-ce un bout de tuyau de plomb coupé à la scie, ou un canon de revolver pointé sur les passants?
Quel sens peuvent avoir ces numéros, que peuvent indiquer ces flèches, où vont finir ces câbles électriques ? Que peut bien fixer cet œil bleu ? Ce sont ces micropaysages métropolitains que je m’efforce de découvrir et sur lesquels je dirige mon objectif, dans une recherche on ne peut plus perso d’archéologie du court terme. Pour témoigner de la transformation continuellement à l’œuvre, en documenter les étapes. Et aussi pour montrer que la laideur peut receler beaucoup de beauté, si l’on sait regarder… et jouer avec la lumière. Lumière de l’aube, du plein soleil, du crépuscule, de la nuit… directe, indirecte, filtrée : constante incitation à aiguiser ma perception, la lumière peut transfigurer la dégradation urbaine. L’important est d’arriver au bon moment. Une fraction de seconde après, il est déjà trop tard ». Alessandro Banas
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