Nous avons tous notre petite idée sur les fantômes. Il y a les incrédules radicaux, les rationnels-sceptiques, les incertains-dubitatifs, et pour finir ceux qui y croient dur comme fer, et en ont un peu peur. Les fantômes font partie de l’espèce humaine, au même titre que la notion de divinité; ils ont existé de tout temps et à toute latitude, dans toutes les civilisations et toutes les traditions. Plus ou moins actifs selon les époques, les «revenants» n’ont jamais cessé de faire parler d’eux. Les guéridons tournants et les esprits frappeurs tant aimés de nos arrière-grands-mères n’ont plus la cote aujourd’hui, mais les fantômes n’ont pas disparu pour autant.
Mais qui sont-ils donc? Pour beaucoup, il s’agirait des âmes de nos ancêtres mal morts, c’est-à-dire morts dans le désordre, la haine ou la confusion: incapables de rejoindre leur destination naturelle, qu’il est convenu d’appeler «la lumière», ils continuent à errer dans des plans intermédiaires, très proches de nous, et à tourmenter les pauvres vivants.
On parle beaucoup de fantômes en psychanalyse transgénérationnelle (plus vulgairement appelée psychogénéalogie): il ne s’agirait pas de créatures extérieures à nous qui rôderaient au-dessus de nos têtes, mais de structures psychiques intérieures, de formations de l’inconscient résultant «des lacunes laissées en nous par les secrets des autres»*. Dans cette optique, le fantôme naît d’une relation directe, d'une empathie tout à fait inconsciente d’une personne vivante avec «un événement familial traumatique ayant impliqué le sexe ou la mort, puisque ces deux thèmes s'inscrivent, presque toujours, dans un "vide de langage"**. Le traumatisme subi par un ascendant défunt, trop douloureux ou honteux pour avoir été correctement intégré, et enseveli au plus profond de son psychisme, peut se transmettre -dans des modes à ce jour inexpliqués- de l’inconscient d’un parent à celui d’un enfant. Les fantômes sont les produits de secrets encryptés par ceux qui nous ont précédés.
Le travail du fantôme correspond à ce que Freud a décrit sous le nom de Thanatos ou instinct de mort: il se «nourrit» de mots indicibles, d’idées impensables, et porte à des répétitions infinies: s’il y a des familles «à divorce», «à suicide», «à naissances illégitimes», «à alcoolisme » etc., c’est parce que ces familles-là sont hantées par des fantômes qui leur font répéter, à leur insu, les comportements autodestructeurs des générations précédentes. Tant que les fantômes n’auront pas été reconnus et aidés à rejoindre leur destination ultime, les catastrophes continueront à se répéter.
*Nicolas Abraham, «L’écorce et le noyau»
**Didier Dumas «L’ange et le fantôme»
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