À ceux qui croiraient encore que les fantômes ne peuvent être que des manifestations de personnes décédées (ou à la rigueur, dans une acception psychanalytique, les dégâts psychiques causés en nous par les secrets des autres), je dirais à ceux-là qu’ils se trompent. Les fantômes peuvent aussi être la matérialisation d’individus bien vivants mais éloignés dans l'espace, qui se servent sans le savoir de personnes bien vivantes elles aussi, et proches de la personne avec laquelle ils désirent -inconsciemment- communiquer. C’est ce que mon amie Claudie Dufour vient de démontrer.
Dans une première vie, Claudie vécut dans la banlieue parisienne et fit ses études secondaires au lycée Paul Valéry, dans le 12ème arrondissement, où elle s’était fait des amies. De très bonnes amies. À vingt ans, elle a rencontré un bel Espagnol, l’a épousé et s’est installée à Tolède, où elle vit toujours. Mais Claudie n’ a jamais oublié ses amies de jeunesse. Bien qu’ayant perdu nos traces, elle a toujours pensé qu’un jour elle finirait par nous retrouver. Entre temps, elle continuait à nous voir, et à parler avec nous. Voici son témoignage, que j’ai reçu ce matin par e-mail. Il est intitulé "TROU NOIR."
"Tandis que persistait ce vide, et que nous n´étiez pour moi encore que des fantômes, j´avais trouvé dans mon entourage DES FEMMES QUI VOUS RESSEMBLAIENT. Elles ne savaient RIEN de ces ressemblances, ni de la curiosité que je manifestais à leur égard, ni qu´elles avaient été secrètement choisies: il ME suffisait de les observer, surprendre leurs évolutions et leurs sautes d´humeur... Une nouvelle coupe de cheveux, un peu d´embonpoint, tout me ramenait à vous et c´était un véritable réconfort..
Martine, je t´en ai déjà parlé, et même montré la photo de Laura qui était " ton fantôme" avant que je ne te retrouve (une jeune Roumaine qui donne un coup de main pour le ménage, chez ma fille). Je vous envoie aussi la photo du fantôme de Nathalie (une femme de mon groupe de yoga). Regarde Nat, comme je me suis débrouillée durant toutes ces années de séparation pour ne pas être plus longtemps sevrée de ton sourire resplendissant. Ton fantôme, c´est celle qui est tout à fait à droite, sur la photo. Avoue qu´il y a quelque chose! Pour Rosine, il n´y avait rien à faire, personne ne se présentait dans mon entourage afin de rêver... Je n´avais que quelques vieilles photos, dans ma boîte en carton, c´était toujours quelque chose, mais pas d´incarnation.
Je savais bien que notre histoire n´était pas finie, et qu´il suffisait de restaurer le passé. Je me demande si le fait de vivre dans une très vieille ville comme Tolède ne m´aide pas à mélanger en toute insouciance présent et passé, ou peut-être est-ce la lecture de Pascal Quignard qui m´a appris à ouvrir des voies d´eau, des passages souterrains qui aident à faire circuler les souvenirs dans l´histoire, entre le temps passé, présent, futur.
Entre temps j´écris, c´est la meilleure façon de m´isoler du barouf et du chantier des mes ouvriers..."
Claudie Dufour Gomez- Tolède, 15 janvier 2010
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