Dans la mythologie grecque, Ananké est la personnification de la destinée, de la fatalité et de la nécessité (les Romains l’appelaient Necessitas). Les interventions d’Ananké ne sont pas de quelconques effets du karma entre des milliers, des millions d’autres. Ce sont des actes précis et ciblés, dont l’aspect insolite et parfois violent peut nous révéler l’origine supra-humaine.
Il n’y a pas lieu de se monter la tête pour autant : Ananké ne se dérange pas personnellement pour nos petits problèmes, ni même pour les grands: quand le besoin s’en fait sentir, elle envoie une de ses filles -Clotho, Atropos ou Lachésis- les «divines filandières» qui, chacune selon ses responsabilités spécifiques, s’occupent de nos destins singuliers (sous la supervision d’Ananké, cela va de soi).
Quand la vie est soudainement bousculée, perturbée ou transformée par un séisme ou un raz-de-marée (au sens propre comme au sens figuré), qu’un événement aussi étonnant qu’imprévisible vient remettre en question nos projets, nos espoirs, nos certitudes, on peut raisonnablement en déduire que les divinités se sont manifestées et que nous sommes sous l’influence d’une des filles de Nécessité. Quant au fait que cet événement nous apparaisse positif ou négatif, heureux ou malheureux, Ananké n’en a que faire et se fiche de nos jugements de valeur comme de sa première tunique. «Bonnes» ou «mauvaises», «justes» ou «injustes», les chose arrivent parce qu’elle doivent arriver. Les raisons de Nécessité ne sont pas à échelle humaine mais cosmique, et c’est pourquoi elles nous restent si souvent obscures. Son champ d’action n’est pas notre vie, notre époque, notre planète mais l’harmonie universelle, le «bon fonctionnement des choses» (que les Chinois appellent Tao). La mission d’Ananké est d’encourager ce qui va dans le sens de cette harmonie et de mettre des bâtons dans les roues à tout ce qui la menace. Quant aux effets de ses interventions, ils viendront en temps et en heure.
Les moments qu’elle choisit pour se manifester sont en effet un autre aspect qui nous échappe. Si les événements qu’Ananké provoque nous apparaissent si souvent insensés ou injustes, c’est aussi parce que notre conception du temps n’a rien à voir avec la sienne; nos années, nos décades, nos siècles ne durent pour elle que le temps d’un clin d’œil: de son point de vue à elle, il n’y a ni avant, ni après, rien d’autre qu’un infini présent.
Mais un jour -parfois très longtemps après, selon notre échelle humaine- la nécessité de son intervention se révèlera dans toute sa fulgurance aux esprits les plus éclairés.
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