Il était une fois un pays magnifique, tout proche de la France, un pays où il faisait bon vivre. Et malgré les attentats à la bombe qui s’y succédaient, malgré les craintes justifiées d’un affrontement frontal entre gauche et extrême-droite qui aurait pu mener à une véritable guerre civile, on avait le sentiment de vivre dans un des pays-phares de l’Europe Occidentale : un lieu de gaîté, de chic et de créativité où il se passait des choses formidablement intéressantes. (Il faut dire que dans ce pays on a toujours été doué pour un certaine forme d’insouciance).
En cette époque lointaine -je parle des années 70- on ne passait pas beaucoup de temps devant la télévision : on avait des tas de choses plus intéressantes à faire. Personne n’aurait raté un «TG», le journal télévisé du soir, pour tout l’or du monde, après quoi les enfants avaient le droit de regarder «Carosello» (la publicité avant le film) avant d’aller se coucher. Quant aux mamans, elles sortaient avec leurs compagnons, où se rendaient aux collettivi féministes. Dans ces années-là, le pays dont je parle était à la pointe du féminisme et il était intéressant, et même excitant, d’y être une femme. Et si l’égalité des salaires était encore un mythe, les femmes trouvaient facilement du travail et se sentaient considérées. Surtout dans le Nord du pays. Surtout à Milan. La "capitale morale" comme on l’appelait alors, était aussi la capitale de la mode, de l’architecture et du design, de l’édition et des arts graphiques, métiers où les savoir-faire féminins étaient hautement valorisés.
En cette époque lointaine, on était fier d’être milanais, on était fier d’être italien, on était fière d'être une femme. La suite, tout le monde la connaît.
Aujourd’hui, dans un pays qui se définit lui-même comme «lobotomisé» par des télévisions aussi offensantes qu’omniprésentes, la moitié saine du pays, celle qui n’a jamais voté pour le bandit milanais qui est encore aux commandes, cette moitié-là a honte d’être italienne. Et les femmes naguère si combatives, si joyeuses dans leurs protestations, ont aujourd’hui honte d’être des femmes italiennes, que les télévisions « burlesconiennes » ne représentent que comme des « morceaux de viande », mineures si possible et jetables après usage.
Hier ces femmes sont descendues dans la rue. Des centaines de milliers de femmes, féministes des années 70-80 accompagnées de leurs filles et aussi de leurs compagnons, gendres, neveux, ont défilé dans les grandes villes de la péninsule. Des marées humaines ont hurlé au satyre sénile qui s’accroche au pouvoir comme une moule à son rocher que « L’Italie n’est pas un bordel ! » et qu’il doit s’en aller.
L’Italie n’est pas un bordel. Ce n'est pas non plus le Maghreb, où la majorité des populations vit dans la pauvreté. Le système italien, basé sur la corruption, fait en sorte que beaucoup y trouvent leur compte et arrivent à s'enrichir, ou du moins à vivre très confortablement, en cultivant leur petit jardin personnel. L'Italie est devenue le pays du "Chacun pour soi et les télés de Berlusconi pour tous".
Pourtant, face aux manifestations océaniques d’hier, on se prendrait presque à rêver que, poussé par quelque brise favorable, l’exemple des pays africains tout proches ne vienne changer la donne. Et je sais que, de l’autre côté des Alpes, certains et certaines en rêvent déjà.
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