Les États-Unis sous le choc s’interrogent sur la tuerie de l’Université Virginia Tech. Et je m'interroge aussi, ayant passé un an dans une université américaine, il y a bien longtemps, à une époque où l'american way of life était un modèle et ses campus, de petits paradis.
Pourquoi, une nouvelle fois, un massacre dans une école? Ce drame est-il lié à la diffusion des armes à feu parmi la population civile, ou au contraire -comme l’avancent certains (!)- au fait que les armes étant interdites sur le campus, les étudiants n’ont pas pu riposter et tirer à leur tour ? «Tous se demandent comment on a pu en arriver là : “Peut-être est-ce dans la nature humaine, ou bien dans la tradition américaine?“»*
Inondés comme nous le sommes de films et téléfilms américains qui nous dépeignent une société d’une violence -et d’une haine- sans commune mesure avec ce que nous voyons chez nous, on serait tenté de répondre que les États-Unis sont une nation structurellement violente, s’étant construite sur l’invasion d’un continent, l’extermination systématique de ses habitants puis l’importation -car c’était bien d’une marchandise qu’il s’agissait- d’esclaves prélevés sur un autre continent, pour permettre aux envahisseurs de s’enrichir plus efficacement. Mais il serait hasardeux d’en déduire que la violence est présente dans le DNA des Américains: d’autant plus que, cette fois-ci, le tueur vient d’une toute autre partie du monde, la Corée du Sud. Il pourrait également sembler hasardeux d’affirmer que l’influence néfaste de l’american way of life a fait d’un jeune asiatique un psychotique et un tueur. Une fois de plus, je me tourne vers le bouddhisme pour tenter d’y voir un peu plus clair.
Pour les hindous comme pour les bouddhistes, tout ce qui se produit est le fait du karma, c’est-à-dire de la loi de cause à effet. Dans son excellent livre «Le bouddhisme du Bouddha», Alexandra David-Néel explique que le karma d’un individu ne suffit pas à déterminer les actions de cet individu, mais que son karma personnel (éducation, expériences etc.) interfère avec le karma général, celui de la société dans laquelle il vit et même celui du monde dans son ensemble: «C’est donc seulement en considérant toute l’humanité comme reliée ensemble que nous pouvons saisir la pleine signification de la doctrine du karma. Ce ne sont pas le meurtrier et le voleur qui sont, seuls, responsables envers la société, mais la société est également responsable d’engendrer de tels caractères». Et elle ajoute que la rétribution des actes mauvais commis dans le passé «ne peut exister que sous forme collective, de même que l’acte qui la déclenche a lui aussi été accompli avec la coopération du karma général».
Vue sous cet angle, la société américaine est bien évidemment impliquée dans la tuerie de Virginia Tech. Mais ce drame -et tous ceux qui n’arrêtent pas de se produire sur toute la planète- va bien au-delà du pays dans lequel il s'est produit: il nous concerne tous et aura des effets sur nous tous.
Comment en sommes-nous arrivés là? Les enseignements ésotériques de l’Inde ancienne avaient prévu ces catastrophes, et bien d’autres encore : pour les grands sages capables de vraiment «voir», les événements qui se produisaient autour d’eux étaient autant de signes qui annonçaient les événements futurs: dans «La fantaisie des dieux et l’aventure humaine» Alain Daniélou cite des passages des Purana où le crépuscule du Kali Yuga -notre époque- est décrit avec une précision saisissante.
Que pouvons-nous faire, dans de telles conditions? La seule chose que nous puissions faire est de nous efforcer de penser et d'agir de la façon la plus juste, en conscience, à chaque minute de notre vie. En sachant que chacune de nos pensées et de nos actions auront forcément des répercussions, dans un futur proche ou beaucoup plus éloigné.
Cela peut paraître peu, en réalité c’est immense.
* Le Monde.fr 18 avril 07
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