Du 23 mai au 1er juillet, à la Galerie de l’Entrepôt, dans le cadre de l’exposition «Mémoires de la ville», Odilon Cabat exposera ses tableaux et ses photos de plaques d’égoût, dont le vrai nom -plus poétique- est «couvercles de regard». C’est avec plaisir que je publie son très joli texte à la gloire des plaques, si injustement ignorées de nous qui passons sans les voir, sans même leur jeter un regard.
NUMISMATIQUE URBAINE, par ODILON CABAT
Les villes ont leurs armoiries, souvent très belles, leurs sceaux, leurs emblèmes, leurs drapeaux.
Ces insignes de souveraineté sont au grand jour, se voient sur les murs, dans les documents officiels, relèvent du bien connu, de l’évidence. Mais il y a d’autres objets hautement symboliques de l’urbain auxquels, étrangement, on ne prête aucune attention. Je veux parler des plaques d’égout.
Elles sont innombrables pourtant on ne les voit pas, on marche dessus pourtant on ne s’en rend pas compte ; on entend parfois leur bruit de gong issu des profondeurs, pourtant on fait la sourde oreille. En vérité on les évacue du champ de conscience comme s’il fallait obéir justement à leur fonction d’interdire aux mortels de suivre sous terre les flux usés, sans cesse expulsés du quotidien, qu’on ne veut ni sentir ni voir.
Opercules protecteurs sur les abîmes de la ville, elles sont d’avance marquées du sceau de l’invisibilité d’Hadès comme les spectres de l’au-delà dont elles nous protégent ; boucliers de bronze aux portes des Enfers, qui éloignent de nous la cohorte des pestes insalubres.
Etrange aveuglement à l’égard de ces plaques d’égout aux dessins incomparables, apotropaïques, aux motifs et méandres à la fois hiératiques et rigoureux, guillochis et godrons magiques, pentagrammes étoilés à effrayer les démons miasmatiques, mais aussi leçon ornementale pour servir à l’Histoire de la Sidérurgie.
Parfois nickel comme un sou neuf, d’autres fois estompées, à peine émergentes d’une couche usée de bitume, d’une dalle de ciment qui semble leur avoir servi jadis de moule, elles paraissent avoir été là depuis avant la création du monde. Archéologie de civilisations englouties sur lesquelles on aurait bâti nos édifices déficients, immédiatement délabrés et nos trottoirs crevassés sans délais en comparaison du poli parfait de leur avers comme de leur patine de bronze d’art. Si parfaites parfois que, comme les icônes de Byzance, on ne peut croire qu’elles soient faites de main d’homme.
Si parfaites qu’elles inscrivent la ville dans l’intemporel.
Il faut aussi parler du sentiment de confiance qu’elle procurent ; car dès lors qu’on les aperçoit, on prend conscience que là où on marche n’est pas un espace trivial, juste aplani pour faciliter la circulation, mais une strate savante qui recouvre des réseaux sans nombre, mystérieusement actifs. Réseaux qui font marcher la ville, qui la rendent vivable à notre insu, qui tissent autour de nous le filet de sécurité de la solidarité humaine. Leurs bouches éparpillées sur le macadam manifestent le travail des hommes anonymes qui construisent le monde. A croire que ces plaques représentent, à la lettre, autant d’indices de la marche souterraine de la « vieille taupe » dont parlait Marx.
Certains pourraient dire que la même mauvaise foi est à l’œuvre pour occulter le fonctionnement de la force du travail que pour masquer les plaques d’égout.
Elles rappellent que le monde est un artéfact rendu vivable par des générations de travailleurs dont on a oublié les noms et qui, pour les usufruitiers de la cité que nous sommes, ont joué le rôle des serviteurs invisibles des contes de fées.
C’est pourquoi, en même temps qu’aux acteurs oubliés de la machine urbaine, il convient de rendre un hommage à l’esthétique industrielle de ces plaques ; et, authentiques armoiries de la cité moderne, les voir comme autant de médailles commémoratives frappées en l’honneur du travailleur anonyme, de l’ouvrier inconnu.
Odilon Cabat
N.B.Je n'ai pas publié les oeuvres d'Odilon Cabat, pour ne pas dévoiler ce qui sera découvert le 23 mai. Les photos publiées dans cette note sont les miennes.
MAGNIFIQUE TEXTE - BRAVO!
Rédigé par : BECKERS Rose-Marie | lundi 21 mai 2007 à 11h22
MAGNIFIQUE TEXTE - BRAVO!
Rédigé par : BECKERS Rose-Marie | lundi 21 mai 2007 à 11h23
Personne autre que toi ne pourrait rédiger un aussi beau texte sur les curieux objets de cette Expo de la Galerie parisienne.D´où sors-tu tant d´inspiration? L´Artiste n´a pas à chercher plus loin, s´il veut un brochure soignée pour son catalogue!
Rédigé par : claudie | lundi 21 mai 2007 à 16h51
Ce n'est pas moi qui ai rédigé le texte, mais Odilon Cabat (voir titre). Ce qui est curieux, c'est que l'artiste en question (O. Cabat) dit que pour lui, écrire n'a rien de naturel, que c'est "comme une langue étrangère". Le moins qu'on puisse dire, c'st qu'il les maîtrise bien (les langues étrangères).
Rédigé par : nathalie chassériau | mercredi 23 mai 2007 à 09h53
Ah! oui... Je n´avais pas compris. Je croyais qu´il exposait tableaux et photos, et que c´etait toi, Nathalie qui avait été chargée de rédiger ce texte pour enrichir le catalogue de son Exposition.
Car c´est souvent comme celà se passe. Les artistes s´exprimant par la plastique, l´exercice de l´écriture leur résulte souvent plus délicat. Et bien cet Odilon domine bien des terrains!
Rédigé par : claudie | mercredi 23 mai 2007 à 21h36
Que j'aimerai être capable de maîtriser ma langue natale avec autant de richesse ,de doigté, de justesse que M. Odilon Cabat domine "les langues étrangères".Même ,si comme il le dit :" le faire avec rien de naturel " ,et même si écrire lui demande un effort ,je pense qu'il lui serait profitable de persévérer dans cette voie.Les mots fusent et n'ont pas l'air de lui poser de problèmes , je l'encourage à poursuivre....!
Rédigé par : Maud | jeudi 24 mai 2007 à 12h04
BRAVO à Odilon!
BRAVO aussi au photographe! Les photos sont superbes.
Rédigé par : rose-Marie BECKERS | vendredi 25 mai 2007 à 13h42
Odilon Cabat est bien demeuré Jungien, à recenser tous ces mandalas.
P.V
theoriedelapratique.hautetfort.com
Rédigé par : vermeersch | vendredi 07 oct 2011 à 13h28