"Quand les noms ne sont pas corrects, le langage est sans objet. Quand le langage est sans objet, les affaires ne peuvent être menées à bien."
Confucius XIII-3
Après avoir qualifié d’ «idiotie» l’initiative de l'Ecole des beaux-arts, le ministre de la culture Frédéric Mitterrand a demandé samedi 13 février que l’on raccroche l'oeuvre de l'artiste chinoise Ko Siu Lan, retirée mercredi dernier de la façade de l'établissement, au prétexte qu'elle pouvait porter "atteinte à la neutralité du service public". Des étudiants ont réclamé la démission du directeur de l'école, évoquant "une autocensure inquiétante". Quant à Bertrand Delanoë, maire de Paris, il s’est dit "consterné" par l’affaire et a proposé à l'artiste que son oeuvre soit ensuite exposée au "104", lieu culturel appartenant à la ville qui est à la recherche d'un second souffle.
L’"œuvre d'art" en question (photos ci-dessus) consiste en deux banderoles verticales noires où figurent, en blanc et en lettres majuscules, les mots "gagner" et "plus" d’un côté, "travailler" et "moins" de l’autre. Elle représenterait une (profonde) réflexion de l’artiste à propos d’un célèbre slogan présidentiel…
L’étonnant dans cette histoire n’est pas l’autocensure pratiquée par l’École des Beaux-Arts, somme toute assez banale dans le contexte politique actuel. L’étonnant est que personne -ni le ministre de la Culture, ni le directeur de l’école du quai Malaquais, ni les étudiants de la dite école, ni bien évidemment les médias- n’ait songé un seul instant que les bannières en question auraient effectivement dû être retirées -ou mieux, n'auraient jamais dû être accrochées-: non pas pour leur insolence vis-à-vis du chef de l’État, mais pour la simple raison qu’elles ne peuvent en aucune façon être considérées comme une œuvre d’art.
Confucius avait noté qu’une des caractéristiques des époques troublées était l’utilisation aberrante du langage. Pour lui, le premier pas vers la transformation du monde devait donc consister à "rectifier les noms", c’est-à-dire redéfinir le rapport entre les mots et les notions auxquelles ils se réfèrent. On peut s’étonner, au vu de l’effrayante confusion qui caractérise aujourd’hui le mot "art", que les esprits éclairés de l’Académie Française n’aient pas encore affronté le sujet. Tant que la signification de ce petit vocable de trois lettres ne sera pas rectifiée, les "artistes" contemporains continueront à nous prendre pour des imbéciles et à nous infliger leurs fulgurantes intuitions -qu'il s'agisse de banderoles, de langoustes géantes ou d'autres aberrations- qui décorent nos rues, nos places, nos monuments. Tout compte fait, on serait presque reconnaissant à Ko Siu Lan pour sa sobriété: après tout, elle aurait pu choisir des bannières en plastique fluo.
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