"Il vaut mieux pour les hommes que tout ce qu’ils souhaitent ne se produise pas»
Héraclite - "Fragments" 113
Les humains ne comprennent pas toujours ce qui est bon ou mauvais pour eux, et ont une fâcheuse tendance à avoir des désirs tout à fait étrangers à leurs réels besoins. Nous souhaitons parfois des choses qui ne nous sont ni nécessaires, ni même utiles (et peuvent parfois se révéler nocives). On ne peut donc que donner raison au vieux sage grec: qui n’a jamais découvert, a posteriori, qu’un souhait non réalisé avait été la meilleure chose qui pouvait arriver? Et que si les choses s’étaient passées comme alors nous le désirions si ardemment, notre vie aurait pris un pli très différent, nous faisant dévier du seul chemin qu’il convenait de suivre: le nôtre?
Nos souhaits, nos projets peuvent être bons en soi, ou bons pour d’autres, mais n’avoir aucune cohérence avec notre «chemin de vie» personnel. On pourrait donc qualifier ces souhaits d’«insensés», dans la mesure où ils vont à contre-courant par rapport au sens de notre existence (ce que les Chinois appellent notre tao). Voilà qui change radicalement les notion d’échec, de ratage : il ne s’agit plus de «réussir dans la vie» selon des paramètres fixés par le plus grand nombre, mais de «réussir notre vie», selon nos atouts et nos handicaps de départ, notre échelle de valeurs, notre vision du monde. Et en fonction de notre propre voie.
Encore faut-il avoir compris en quoi consiste cette voie. Pour le découvrir, je propose aux plus de cinquante ans* un petit exercice qui m’a été fort utile. Il ne demande qu’une feuille de papier -ou un ordinateur- et un effort de concentration.
Il s’agit tout simplement de rejouer le film de notre vie adulte, à partir du moment où nous avons commencé à exercer notre libre arbitre (18, 20, 25 ans…). L’exercice consiste à lister, par ordre chronologique, tous les souhaits, désirs et projets qui ont scandé notre existence, dans quelque domaine que ce soit. On inscrit dans une colonne les souhaits qui se sont réalisés et dans une autre, ceux qui n'ont pas abouti.
Il n'est pas exclu qu'en étudiant les résultats on découvre le sceau d'Ananké, la Nécessité. C'est du moins ce qui s'est passé pour moi: en analysant avec attention mes ratages et mes succès, j'ai compris que des décennies avant d'en avoir conscience, j’étais déjà engagée dans une quête de sens. Pourquoi? Parce que tous les souhaits, tous les projets qui m'auraient éloignée de cette quête ont raté. Tous, sans exception. Par contre, tous ceux qui d’une façon ou d’une autre pouvaient faciliter le processus d'apprentissage -de connaissance de moi-même et de connaissance tout court- se sont toujours réalisés, en général avec beaucoup de facilité.
La marque d'Ananké se reconnaît à une certaine cohérence des principaux événements de notre vie, qui permet d'identifier une ligne directrice, ce que l’on pourrait appeler un destin. Comprendre son destin personnel -avec ses immenses limites mais aussi sa noblesse intrinsèque- est une étape fondamentale dans la connaissance de soi. Et devrait nous permettre de nous libérer une fois pour toutes des souhaits non conformes à nos réelles nécessités.
À quoi reconnaît-on la "patte" de la Nécessité? J'y reviendrai prochainement.
*N.B. Cet exercice peut être fait à tout âge mais avant cinquante ans, les résultats risquent d’être moins parlants.
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