« Je me bats le jour, je me bats la nuit
Batailles contre la mélancolie
Cette vieille pieuvre toujours éveillée
Qui me guette au coin des années
Au coin des rues et des souvenirs
Et lance son refrain mourir
Alors que je veux vivre mille fois
Que je veux aimer que je veux la joie
Qu’il est temps enfin d’espérer
Temps de croire temps de respirer »
De son vivant, jamais il ne se soucia de sa postérité: "J’ai préféré le silence au trottoir, dans le succès il y a une espèce de prostitution ". Et la postérité l'a oublié. Il fut pourtant l’un des trois mousquetaires qui fondèrent le mouvement surréaliste (les deux autres s’appelaient André Breton et Louis Aragon). Journaliste, homme de radio, romancier très prolifique, Philippe Soupault se considérait avant tout comme un poète, et parlait souvent de lui-même comme d’un fantôme. Ses deux écrits autobiographiques s’intitulent d’ailleurs «Journal d’un fantôme» et «Mémoires de l’oubli»…
La poésie entra très tôt dans sa vie: renvoyé du front en 1917 pour cause de maladie*, il avait dix-neuf ans lorsqu’il rendit visite à Guillaume Apollinaire dans son petit logement du bd Saint-Germain. Celui-ci lui parla d’André Breton et lui dit « Il faut que vous deveniez amis ». Ils le devinrent. Un an plus tard, au printemps 1918, Philippe est à nouveau hospitalisé pour des complications pulmonaires. Durant son heure de sortie quotidienne, flânant dans une librairie-papeterie, il découvre au rayon «Mathématiques» un petit livre d’un auteur alors inconnu : « Les chants de Maldoror » du comte de Lautréamont. «J'étais couché dans un lit d'hôpital lorsque je lus pour la première fois Les chants de Maldoror. C'était le 28 juin. Depuis ce jour-là personne ne m'a reconnu». Littéralement foudroyé par sa lecture, Soupault apporte le petit livre à André Breton. Le résultat sera Les champs magnétiques que les deux jeunes poètes, inspirés par Isidore Ducasse (alias Lautréamont), écriront en quinze jours. L'écriture automatique était née et, avec elle, le Surréalisme.
Philippe Soupault rejeta tout jeune la bourgeoisie dont il était issu et traversa en observateur lucide presque tout le siècle dernier, dont il vécut en première ligne les convulsions. Sa longue et passionnante vie est superbement racontée par Béatrice Mousli dans une biographie qui vient de sortir chez Flammarion.
Il se trouve que Philippe Soupault était mon grand-oncle et qu’il a joué un rôle-clé dans ma vie. C’est grâce à lui qu’à dix-neuf ans j’ai pu partir aux USA et passer hors de France vingt-six ans de ma vie. Et c’est grâce à Béatrice Mousli que j’ai pu me faire une idée beaucoup plus précise de la vie et de la personnalité de cet homme que j’ai connu quand il avait déjà 68 ans et paraissait un véritable mathusalem à la petite étudiante que j’étais alors.
Puisse ce livre avoir le succès qu’il mérite et contribuer à donner sa juste place à Philippe, charmant fantôme et talentueux témoin d’un siècle tourmenté qu’aucun de nous n’a intérêt à oublier. (Pour ceux qui voudraient en savoir plus, je recommande le film de Bertrand Tavernier et Jean Aurenche "Philippe Soupault et le surréalisme", un témoignage aussi intéressant qu'émouvant par le dernier survivant de cette aventure.
*Il avait servi de cobaye pour un vaccin contre la typhoïde. Certains de ses camarades en moururent, lui tomba gravement malade.
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