Ce fut une bien étrange expérience que d’aller voir hier « La Cité Interdite » du réalisateur chinois Zhang Yimou, que je considérais jusqu’à maintenant comme un des plus brillants fleurons de la cinématographie chinoise. J’en suis sortie... désorientée .
Première perplexité : le film commence sans qu’on ait daigné informer les spectateurs de l’époque à laquelle se déroule l’action. Sommes-nous sous les Ming ou sous les Qing ? Il s’agit forcément d’une des deux dynasties, vu que ce sont les seules qui aient jamais habité le palais impérial de Pékin. La Cité interdite a été construite au début du XVème siècle par le 3ème empereur Ming, Yong Le. C’est lui qui a transféré le centre du pouvoir de Nankin (littéralement : la capitale du sud) à Pékin (la capitale du nord).
J’écarte rapidement l’hypothèse Ming (1368-1644), pour une évidente raison: pas une seule potiche en porcelaine -les fameux vases Ming- dans les salles du palais. L’hypothèse Qing se renforce un bref moment, frappée comme je le suis par les très surprenants décolletés des femmes : sous Louis XIV et sous Louis XV, donc sous la dynastie Qing (1644-1912), les échanges avec la France étaient nombreux : la cour impériale aurait-elle été influencée par les modes qui régnaient à Versailles ? C’est peu probable, vu que les principaux représentants des cours européennes en Chine étaient... des missionnaires. Quid de ces décolletés débordants, que je n’ai jamais remarqués dans aucune peinture ou statuette chinoise d’aucune époque ? Quoi qu’il en soit l’hypothèse Qing, la dynastie mandchoue, doit elle aussi être écartée, pour la simple raison que sous les Qing, les hommes étaient obligés de porter la natte. Et ici, il n’y a pas l’ombre d’une natte.
C’est alors qu’un trouble profond envahit mon esprit. Quelle histoire suis-je en train de regarder? De quel empereur s’agit-il ? Et surtout, de quelle Cité interdite nous parle Zhang Yimou? Je ne suis pas sinologue, mais une simple vulgarisatrice, ce qui ne m’empêche pas de vouer un culte à la culture chinoise et à sa remarquable civilisation. Et là, j’ai la très nette impression que le réalisateur a poussé le bouchon trop loin. Si quelque chose m’a échappé, j’espère que mes amis sinologues voudront bien éclairer ma lanterne.
Je ne suis pas gênée par le fait que le film se révèle n’être qu’une gigantesque opération promotionnelle destinée à l’Occident. Promotion touristique d’abord : « Venez visiter la Chine, sa Cité interdite, ses paysages grandioses, son remarquable artisanat, ses femmes superbes, son Histoire » (quelle Cité interdite, quelle Histoire, c’est une autre affaire).
Promotion économique ensuite : « Nous avons les moyens de produire des péplums qui n’ont rien à envier à Hollywood ». Affirmation de pouvoir enfin : « Dans le passé la Chine a été humiliée par les puissances occidentales, il est temps que vous sachiez à qui vous avez à faire ». Ce film n’est rien d’autre qu’une méga-pub à la gloire de la Chine qui monte, qui monte... mais après tout c’est leur droit de se faire de la pub. Non, ce qui me gêne, c’est que Zhang Yimou, qui a probablement travaillé sous la férule d’un responsable culturel du gouvernement (et reçu de richissimes subventions), soit tombé aussi bas.
Son briefing semble avoir été le suivant : « Vous nous concoctez un film qui va stupéfier l’Occident, en y ajoutant de petites touches occidentales, pour être sûrs que ça leur plaira». D’où les aberrations comme les décolletés à la Louis XV, ou l’empereur apparaissant devant le peuple en tenant son auguste épouse (échevelée) par la main ; d’où la musique « hollywoodienne » etc... etc...
Mais le pire m’attendait à la maison.
Très troublée de ne pas avoir compris à quelle époque pouvait bien se dérouler cette sombre histoire familiale, j’ai tapé « La Cité interdite » dans Google. Une quantité de sites descrivent le film, tous s’étant évidemment servi du même dossier de presse fourni par la maison de production. Et tous racontent que l’histoire se passe au Xème siècle, c’est-à-dire cinq siècles avant la construction de la Cité interdite ! En voici le début : « En Chine, au Xème siècle, on s'apprête à célébrer la fête de Chong Yang. Des milliers de chrysanthèmes dorés ont été disposés dans le palais impérial où règne la dynastie Hou Tang.... »
Pour une nouvelle, c’est une nouvelle : j’ignorais qu’à l’époque des Tang Postérieurs (dont la capitale était Luoyang, dans le Henan) le palais royal s’appelait déjà la Cité interdite.
Mais non, dans son livre « Dans la Cité pourpre interdite » le sinologue Cyrille Javary me confirme que le terme a bien été inventé pour le palais impérial de Pékin, construit au XVème siècle, et certainement pas au Xème !
Alors de deux choses l’une : ou les Chinois ont perdu la mémoire de leur passé au point de faire une erreur de cinq siècles dans la plus grosse production cinématographique de l’année... ou ils prennent les Occidentaux pour des imbécilles.
Dans un cas comme dans l'autre, il y a lieu de se faire quelque souci.
CONSEILS DE LECTURE POUR REMETTRE LES PENDULES À L'HEURE
"Dans la cité pourpre interdite" de Cyrille Javary (Éditions Philippe Picquier)
"La Cité Interdite des Fils du Ciel" de Gilles Béguin et Dominique Morel (Découvertes Gallimard)
et pour tout le reste, le film ?
Rédigé par : Lapérou françois | mercredi 21 mar 2007 à 18h00
Réponse à François Lapérou:
Dans de telles conditions, il était difficile de trouver de l'intérêt à une histoire iventée de toute pièce, avec un souverain fictif,des effets spéciaux numériques inspirés (en moins bien) à "Tigres et dragons". Le seul aspect positif, à mon humble avis: c'est un régal pour les yeux ("Visitez la Chine,ses beautés en tous genres..." . Mais, comme nous le rappelle l'hexagramme 22 du Yi King "L'apparence n'est pas tout".
Rédigé par : nathaliechassériau | mercredi 21 mar 2007 à 19h00