Avec toutes mes excuses pour un impardonable absentéisme, je vous propose un poème d'Aimé Césaire que m'a envoyé mon amie Claudie, de Tolède.
Solde
J'ai l'impression d'être ridicule
Dans leurs souliers
Dans leurs smoking
Dans leur plastron
Dans leur faux-col
Dans leur monocle
Dans leur melon
J'ai l'impression d'être ridicule
Avec mes orteils qui ne sont pas faits
Pour transpirer du matin jusqu'au soir qui déshabille
Avec l'emmaillotage qui m'affaiblit les membres
Et enlève à mon corps sa beauté de cache-sexe
J'ai l'impression d'être ridicule
avec mon cou en cheminée d'usine
avec ces maux de tête qui cessent
chaque fois que je salue quelqu'un
J'ai l'impression d'être ridicule
dans leurs salons
dans leurs manières
dans leurs courbettes
dans leur multiple besoin de singeries
J'ai l'impression d'être ridicule
avec tout ce qu'ils racontent
jusqu'à ce qu'ils vous servent l'après-midi
un peu d'eau chaude
et des gâteaux enrhumés
J'ai l'impression d'être ridicule
avec les théories qu'ils assaisonnent
au goût de leurs besoins
de leurs passions
de leurs instincts ouverts la nuit
en forme de paillasson
J'ai l'impression d'être ridicule
parmi eux complice
parmi eux souteneur
parmi eux égorgeur
les mains effroyablement rouges
du sang de leur ci-vi-li-sa-tion.
Aimé Césaire
26 juin 1913 - 17 avril 2008
(Recueil «Pigments Névralgies» 1972, éd. Présence Africaine)