Autrefois, il y a très longtemps, la jeune femme assise au bord de la piscine (si elle était à peu près saine d’esprit) n’aurait pensé qu’à admirer le verdoyant paysage autour d’elle et à jouir de ses vacances en couple. Peut-être se serait-elle remémoré la promenade du matin, main dans la main de son cher et tendre ; peut-être aurait-elle pensé avec plaisir à la soirée qui les attendait… Quoi qu’il en soit, elle était en vacances, loin de sa vie habituelle, et toute son attention, toute son énergie, étaient concentrées sur l’ici et maintenant: le lieu dans lequel elle se trouvait, la -ou les- personnes avec lesquelles elle partageait ce moment.
Et puis le téléphone mobile est arrivé et tout a changé. Observez la publicité ci-dessus: aujourd’hui la jeune femme voyage très chargée, incapable de se déplacer sans une cohorte d’individus qui ne veulent pas la lâcher -et qu’elle ne veut pas lâcher-. Au lieu de communier avec la nature en observant le paysage qui l’entoure, elle scrute l’eau azurée de la piscine où elle entrevoit ceux qui ne sont pas là (mais qu'elle peut contacter à tout moment). Cette jeune femme ne peut être considérée saine d’esprit, vu qu’elle est victime d’hallucinations et voit des fantômes. Pourtant un des principaux acteurs de la téléphonie française nous la montre comme la plus enviable des touristes et nous encourage à faire comme elle : rester constamment à portée de dring!!!, disponibles à chaque instant, pour quiconque, où que nous soyons. Même en vacances, même à l’étranger.
En fait, le phénomène n’est pas né avec le téléphone mobile, il a commencé avant, avec la télévision et plus précisément avec la télécommande, qui a induit un nouveau comportement humain: le zapping. C’est à partir de là que nous avons commencé à faire l’expérience du « tutto e subito »* . En passant d’une émission à l’autre, nous avons éprouvé l’ivresse d’être en même temps ici et ailleurs. Le fantasme de l’ubiquité, capacité divine, a pris corps; il se nourrit de l’idée qu’on ne peut jamais être tout à fait sûr que « l’ici » soit la meilleure option, qu’il n’y ait pas un « ailleurs » plus attrayant, plus satisfaisant. C’est exactement ce qui se passe dans la tête des utilisateurs de téléphones mobiles, qui refusent de devoir choisir et donc de renoncer à quelque chose. Ils veulent pouvoir s’en aller sans devoir vraiment quitter personne.
Mais à vouloir "visiter le monde sans se couper du sien", c'est-à-dire être partout en même temps, on finit par ne plus être nulle part. La plus passionnante des conversations, la plus idyllique des situations, une fois interrompues par un appel téléphonique, ne se reconstitueront pas de la même façon parce que quelque chose se sera cassé. Ce «quelque chose» -aussi fondamental qu’impalpable- est tout simplement la relation qui s’établit entre un individu et l’endroit où il se trouve, les personnes avec lesquelles il est. Pour être réelle, cette relation demande une présence et une attention que l'irruption de l'extérieur remet nécessairement en question.
Garder mon téléphone allumé alors que je suis occupé à une tâche, que je parle avec quelqu’un, que j’admire un paysage, équivaut à mettre sur le même plan l’ici et l’ailleurs, ce que je fais et ce que font les autres, la personne avec laquelle je suis et tous ceux qui à tout moment peuvent m’appeler… Et donc à ne donner d’importance à rien ni à personne. Sans échelle de valeur ni capacité de hiérarchiser les êtres et les activités, le monde extérieur se banalise et s’aplatit, morne plaine grise et désolée, éternelle répétition du même… jusqu’à nous porter au délire de vouloir être partout en même temps, tout contrôler, tout partager.
Quel cauchemar…
* « Tutto e subito » (tout, tout de suite) était un un slogan très en vogue durant le manifestations de la gauche post-soixante-huitarde en Italie.
"ne peut être considérée saine d’esprit".
Les mêmes mots ou presque reviennent régulièrement dans vos notes.
Vous semblez projetez cela souvent (vers l'extérieur, mais c'est pléonastique !). Un aveu de l'échec ? Lequel ?
Pourtant, quel discours cela sert-il, finalement ?
Qui disait que le vicieux a l'obsession de son vice ?
A bientôt.
Denys.
Rédigé par : Denys Le Tyran | samedi 21 juin 2008 à 00h39
Je ne suis pas sûre que l'adjectif "pléonastique" puisse dériver de "pléonasme". Quant à ce que vous dites sur mes conditions mentales.. peut-être avez-vous raison. Mais dans ces conditions le Bouddha lui aussi était dingue, vu qu'il a basé sa doctrine sur la maladie mentale dont est affectée l'humanité. Et qu'il n'a eu de cesse d'essayer de ramener ses contemporains à la raison.
Non pas que je me prenne pour le Bouddha, rassurez-vous, mais je suis convaincue que le monde est de plus en plus fou, et je continuerai à le dire.
Rédigé par : Nathalie Chassériau | samedi 21 juin 2008 à 11h34
Je ne suis pas sûre que l'adjectif "pléonastique" puisse dériver de "pléonasme". Quant à ce que vous dites sur mes conditions mentales.. peut-être avez-vous raison. Mais dans ces conditions le Bouddha lui aussi était dingue, vu qu'il a basé sa doctrine sur la maladie mentale dont est affectée l'humanité. Et qu'il n'a eu de cesse d'essayer de ramener ses contemporains à la raison.
Non pas que je me prenne pour le Bouddha, rassurez-vous, mais je suis convaincue que le monde est de plus en plus fou, et je continuerai à le dire.
Rédigé par : Nathalie Chassériau | samedi 21 juin 2008 à 11h35
Bonjour,
Jésus, tout comme Bouddha, tentait la même chose, lui aussi, dans sa folie.
Bref, je me demande, puisque vous soulevez la question : qu'est-ce que la raison ? N'y a-t-il rien de plus subjectif que la conception que nous pouvons avoir du 'raisonnable' ? Le 'raisonné' est-il raisonnable ? Y-a-t-il une raison universelle ? Ce que je considère comme 'folie' pourrait-elle être 'raison' pour vous ?
Perdre la raison ?
Je me rappelle le Discours de la Méthode, de ce rigolo de Descartes : "Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée"...
Qu'en pensez-vous ?
Denys le Tyran.
("pléonastique" est attesté depuis le milieu du XIX ème siècle : "relatif au pléonasme, qui constitue un pléonasme" : voilà donc un doute balayé, et c'est toujours cela de gagné.)
Rédigé par : Denys Le Tyran | dimanche 22 juin 2008 à 14h24
Je n'en pense rien, ces questions me paraissent parfaitement oiseuses, peu dignes d'un professeur de lettres... Et si vous désirez continuer le dialogue, please déclinez votre identité. Je ne discute pas avec les gens qui se cachent sous un pseudo.
Nathalie Chassériau
Rédigé par : Nathalie Chassériau | lundi 23 juin 2008 à 09h54
Je n'en pense rien, ces questions me paraissent parfaitement oiseuses, peu dignes d'un professeur de lettres... Et si vous désirez continuer le dialogue, please déclinez votre identité. Je ne discute pas avec les gens qui se cachent sous un pseudo.
Nathalie Chassériau
Rédigé par : Nathalie Chassériau | lundi 23 juin 2008 à 09h54
Je n'en pense rien, ces questions me paraissent parfaitement oiseuses, peu dignes d'un professeur de lettres... Et si vous désirez continuer le dialogue, please déclinez votre identité. Je ne discute pas avec les gens qui se cachent sous un pseudo.
Nathalie Chassériau
Rédigé par : Nathalie Chassériau | lundi 23 juin 2008 à 09h55
Erreur.
Ces questions ne sont pas oiseuses, voyons. Pourquoi refuser de comprendre ? Pourquoi cette cloison ?
Votre réaction est quelque peu surprenante et même abrupte.
Je ne suis pas non plus "professeur de lettres".
Qu'apportera mon identité à un dialogue déjà rompu puisque vous n'en pensez rien et que vous refusez de discuter ?
Je n'aime pas les oukases. Je parle d'idées et vous me répondez "identité !".
Bien à vous,
Denys.
Rédigé par : Denys Le Tyran | mardi 24 juin 2008 à 18h49
Je ne suis pas si pessimiste que toi, Nathalie à vouloir " Être partout en même temps" et n´y voir que des dangers. Je crois qu´il est grand temps ( on ne peux plus faire marche arrière) d` apprendre à laisser circuler ensemble, respirer de manière coulante et décontractée le réèl et le virtuel. Savoir entremêler les deux mondes, , les accorder comme des instruments, les fusionner comme des fleuves, entre eux. Sans rivalité ni lamentations. Essayons donc de mélanger électronique et charnel. Sinon, effectivement, on risque bien des courts-circuits.
Rédigé par : Claudie | samedi 28 juin 2008 à 10h18
Réponse à Claudie:
Te connaissant, je comprends tout à fait ton point de vue. Mais cela ne m’empêche pas de penser que, pour la plupart des gens, la possibilité d’être constamment « ici et ailleurs » représente un grand danger, car elle met en danger la capacité de concentration. Et le manque de concentration, l’incapacité « d’être là » et de jouir -ou de souffrir- de l’ « ici et maintenant », est la porte ouverte à l’éparpillement mental. Ce principe est la base même de la doctrine bouddhiste, et j’y adhère totalement. Et le spectacle de mes contemporains qui passent le plus clair de leur temps leur portable à la main (dans le train, le métro, marchant dans la rue etc.), comme s’il s’agissait d’un instrument masturbatoire, me paraît très inquiétant. Désolée, mais je n’en démordrai pas… l’ère du téléphone portable est pour moi la représentation d’un malaise très profond, venu soudain au grand jour.
Rédigé par : Nathalie Chassériau | samedi 28 juin 2008 à 11h20