Ce matin chez le fleuriste, bribes de conversation entre deux clientes. L’amie d’une d’entre elles fait paraît-il une dépression… Commentaire de l’autre : «J’ai un ami comme ça. Il ne lui manque rien, il a une grande maison et tout ce qu’il lui faut, pourtant il déprime…».
Nous avons tous entendu -et plutôt dix fois qu’une !- des réflexions de ce style, toujours proférées sur le ton de la surprise et de l’incrédulité : «Il a tout pour être heureux, et pourtant il ne va pas bien». Je me suis quant à moi toujours demandé ce que «l’avoir» pouvait bien avoir à faire avec la dépression, qui est une maladie de «l’être». Comment pouvait-on associer deux notions aussi étrangères entre elles? Comment pouvait-on imaginer un seul instant que des possessions matérielles -une grande maison, une belle voiture etc.- puissent suffire à rendre les hommes heureux?
Pourtant, à y regarder de plus près, ces deux notions sont effectivement liées, dans la mesure où la dépression, un des grands maux de notre époque, est souvent une des conséquences de la priorité absolue que notre société donne à l’ «avoir» sur l’ «être». Nous vivons dans un monde où l’accumulation de biens matériels prévaut sur la recherche de la connaissance et la culture de soi, où l’extérieur prévaut -et de très loin- sur l’intérieur. En concentrant toutes ses énergies à avoir toujours plus, l’homme a tout simplement perdu de vue qui il est. Avouez qu’on serait déprimé à moins…
Il existe un petit livre qui fut en son temps un best-seller et que je suggérerais au ministre de l’Éducation Nationale de rendre obligatoire dans toutes les classes de terminale, avec interrogation écrite et orale au baccalauréat. Intitulé «Avoir ou être» (sous-titre : «Un choix dont dépend l’avenir de l’homme»), il fut écrit en 1976 par Erich Fromm, psychanalyste américain d’origine allemande contemporain d’Adorno et Marcuse et un des premiers représentants de l’École de Francfort. L’ouvrage, très bien écrit et facile à lire, parut en France en 1978. Ce fut une véritable révélation pour beaucoup de jeunes gens qui, comme votre servante, y trouvèrent l’énonciation de tout ce qu’ils ressentaient plus ou moins confusément, sans avoir alors la capacité de le formuler.
Avoir ou être: la question a aujourd’hui un sacré caractère d’urgence.
La langue espagnole est encore plus subtile et catégorique puisqu´elle habitue à séparer l´"être" en deux.
SER et ESTAR, la bifurcation qui n´existe pas en anglais ni en français ( To be, être) oriente l´esprit à choisir entre l´essence, le permanent, et la circonstance, le paraître ou l´accidentel.
Un bon exercice que le petit enfant espagnol met en route- sans sans rendre compte-dès l´apprentissage de sa langue et grâce à cette subdivision que l´espagnol a sainement imposée au latin.
Bien avant les maîtres à penser,et tous les les psychologues que nous croiserons sur notre chemin, il y la langue qui nous pilote tous petits, et nous met en garde et nous ouvre au monde, au travers de la délicatesse de sa syntaxe et des raffinements de son vocabulaire.
Tu dois en savoir quelque chose, Nathalie, toi qui es aussi bilingue.
Rédigé par : claudie | jeudi 07 jan 2010 à 12h52
J'imagine que SER veut vraiment dire "être" (soy infeliz, par exemple) et que ESTAR veut plutôt dire "se trouver" (mia amiga Claudia esta in Toledo). Is that right?
C'est vrai que la langue est importante, ce qui n'empêche pas qu'"Avoir ou être" est un livre important qui affronte un sujet crucial.
Rédigé par : Nathalie Chassériau | jeudi 07 jan 2010 à 22h41