Tout va vite aujourd’hui, beaucoup trop vite, et l’avatar contemporain des lettres d’autrefois peut se révéler un piège. J’ai bien sûr nommé l’e-mail, ce fabuleux outil qui nous permet d’expédier n’importe quoi à n’importe qui en «temps réel» (absurdité d’une expression qui est en soi une contradiction, vu que le temps est une notion abstraite, et la plus subjective qui soit: le temps n'a rien de réel.) La plus grande qualité de l’e-mail -son immédiateté- est aussi son plus grand défaut : presque aussi rapide que la parole, mais sans le ton de la voix, le rythme de l’élocution, et surtout sans le dialogue. Si quelque chose me blesse dans ce que l’autre me dit, je peux le lui exprimer et lui donner ainsi la possibilité de rectifier, d’adoucir, de reformuler. Alors que l’e-mail est asynchrone (un mot très à la mode) : et s’il arrive à destination beaucoup plus rapidement que ne l’aurait fait une lettre, il y a tout de même un décalage temporel entre ce que l’autre a pensé et essayé de me dire, et ce que je lis et essaie de comprendre. La soi-disant immédiateté du message nous empêche souvent de bien réfléchir à la portée de ce que nous écrivons, tout en donnant à nos paroles un poids qu’elles n’auraient pas eu si elles avaient été seulement prononcées. Verba volant, scripta manent...
Ainsi peuvent naître de graves malentendus : mais s’ils naissent c’est peut-être parce que nous « traitons » l’e-mail à l’instar d’une lettre, c’est-à-dire d’un message réfléchi, dûment relu et corrigé. Or la plupart du temps il ne l’est pas. Le courriel se situe dans un étrange espace, quelque part entre l’expression verbale et le courrier traditionnel, et devrait être traité cum grano salis, avec un plus de prudence de la part de celui qui écrit, et de légèreté de la part du destinataire. Et sa rapidité ne doit pas nous faire oublier les vertus de la lenteur.
IL FAUT DONNER DU TEMPS AU TEMPS: pour permettre aux froissements, aux incompréhensions et aux blessures de cicatriser, tout en sachant -ne sommes-nous pas les héritiers de La Fontaine ?- que la lente tortue finit toujours par battre le lièvre véloce, et que les sentiments, s’ils sont vrais, ne meurent jamais et finissent toujours par arriver à bon port. « Le temps qui court trop vite manque d'amour - et cela me chagrine très fort » écrit Rose-Marie de Bruxelles dans un commentaire à une de mes notes.
C’est aussi ce qu'est venue me dire cette jolie petite tortue, arrivée ce matin de Tolède. Elle a pris son temps, tout comme j’ai pris le mien pour métaboliser une cassure temporaire, un malentendu en grande partie provoqué par les technologies d’aujourd’hui. Et je lui en suis très reconnaissante.
Vive le grand La Fontaine, vivent les tortues, vive la lenteur… et vive l’amitié !
Bonjour,
Plus que l'e-mail, je pense qu'il faut traiter le SMS et la messagerie instantanée (synchrone, du style MSN) en fautifs. J'ai personnellement toujours pris le temps d'écrire correctement mes mails, peut-être parce que justement j'aime bien écrire.
Le caractère asynchrone de l'e-mail lui donne, justement, un avantage décisif : il laisse le temps de la relecture à son auteur, et l'immédiateté de la réception à son lecteur.
D'ailleurs, l'e-mail perd très rapidement du terrain sur les réseaux sociaux et la messagerie instantanée, l'écart étant creusé depuis longtemps par les SMS. Ce n'est pas le moyen de communication qui est important, en fin de compte, c'est la façon dont il est utilisé...
Rédigé par : Giaccomin | mardi 18 mai 2010 à 14h33
+1 avec Giaccomin.
Je ne vois pas le problème un mail vous pouvez prendre le temps de l'écrire et vous pouvez même faire un brouillon contrairement à une discution en ligne ou nous sommes dans l'immédiat.
Rédigé par : refuznik | mardi 18 mai 2010 à 14h41
Réponse à Giaccomin et Refuznik:
Je suis tout à fai d'accord avec ce que vous dites tous les deux: on peut (on doit) soigner ses courriels. Le fait est que, contrairement à mon habitude,cette note était totalement perso: elle s'adressait à une amie (celle qui a envoyé la tortue)avec laquelle j'ai eu récemment quelques soucis de communication, par e-mail. C'était donc une note "cryptée" en quelque sorte.
Bizarrement, c'est justement cette note "perso" -et donc nettement plus subjective que les autres- qui a attiré l'attention du Monde, et mon audimat, jusqu'ici très modeste, a grimpé de façon vertigineuse.
Bonne et lente journée à vous!
Rédigé par : Nathalie Chassériau | mardi 18 mai 2010 à 15h16