« Tout homme veut être heureux, y compris celui qui va se pendre » Pascal
« Le bonheur, n’est-ce pas ce à quoi tous aspirent et que personne ne dédaigne ? Où l’ont-ils connu pour le vouloir ainsi ? Où l’ont-ils vu pour l’aimer ? St Augustin *
Nous savons tous que le bonheur n’a rien à voir avec la richesse, que l’amour est plus souvent source de frustration et d’inquiétude que de plaisir et de satisfaction, et que chaque être humain -du plus démuni au plus fortuné, du plus entouré au plus délaissé- se trouvera tôt ou tard à devoir affronter de grandes épreuves, outre à son lot de peines et de désagréments quotidiens. Entretenir en nous cette aspiration au bonheur, désirer une chose dont on sait qu’elle n’existe pas, revient donc à entretenir et cultiver le malheur dans notre vie : une démonstration de masochisme, voire d’imbécillité…
« Si le Créateur avait voulu que nous soyons heureux, alors il ne nous aurait donné ni la liberté, ni l’intelligence ». E. Kant**
Être adulte signifie avant tout exercer librement son intelligence et donc être doué de lucidité : regarder en nous et autour de nous revient à voir que la souffrance est partout et que par conséquent le bonheur n’est nulle part. S’obstiner à vouloir être heureux serait donc un échec du processus de maturation du psychisme: un constat d’infantilisme. La recherche du bonheur ne serait en fait que la nostalgie de l’état de nourrisson*** dans lequel -à condition d’avoir eu « une mère suffisamment bonne »- on pouvait presque toujours compter sur le sein, le sourire et les paroles douces de l’Être Aimé ; un désir inconscient -et fort pathétique- de retour à la symbiose avec la mère, un état sans liberté ni intelligence aucunes.
« Certainement [le bonheur] est en nous : comment ? Je ne sais. » St
Augustin
Pourtant la notion de bonheur, si profondément enracinée en chacun de nous, même le plus désespéré, doit bien nous venir de quelque part. Peut-être d’un Âge d’or de l’humanité qui aurait laissé des traces en nous, un Âge où l’homme ne faisait qu’un avec la Nature et jouissait de ses bienfaits sans pouvoir seulement imaginer autre chose ? Où il ne connaissait ni désir de s’affirmer sur les autres, ni agressivité, ni jalousie, ni peur du lendemain, mais seulement une gratitude pérenne pour les bienfaits qui lui étaient si généreusement octroyés? La notion de bonheur serait alors liée à celle du Divin, et le désirer correspondrait à une tension vers le Retour à cet état primordial d’avant la chute, que l'on retrouve dans toutes les grandes Traditions.
Pour conclure -car il faut bien conclure- ce modestissime tour d’horizon, on pourrait dire que le bonheur n’existe pas, sinon à l’intérieur de chacun de nous. Il ne s’agirait de rien d’autre que d’un état d’esprit qui se cultive jour après jour, indépendamment de toute intervention extérieure et de tout événement plaisant ou douloureux, "chanceux" ou "malchanceux". C’est ce que disent (entre autres) un grand philosophe du passé et un des rares esprits pensants contemporains :
« Le cours des choses humaines est hérissé d’une foule d’épreuves qui attendent l’homme. Il semble bien que la Nature n’ait pas du tout eu en vue de lui accorder une vie facile, mais au contraire de l’obliger par ses efforts à s’élever assez haut pour qu’il se rende digne, par sa conduite, de la vie et du bien-être». I. Kant**
«Le bonheur est le résultat d’un mûrissement intérieur. Il dépend de nous seuls, au prix d’un travail patient, poursuivi de jour en jour. Le bonheur se construit, ce qui exige de la peine et du temps. A long terme, le bonheur et le malheur sont donc une manière d’être ou un art de vivre». Matthieu Ricard
*« Confessions »
**« Critique de la raison pure »
*** J'entends nourrisson et non pas enfant : en dépit de tous les stéréotypes d'usage, l'enfance, même choyée, n'est pas une époque heureuse car elle est caractérisée par l'impuissance.