
"Tout ce qui est inconscient est projeté" C-G Jung*
Nous passons notre vie à projeter sur les autres des problèmes qui n’ont rien à voir avec eux et ne regardent que nous. Les comportements qui nous dérangent le plus chez nos semblables sont souvent ceux qui nous obligent à nous confronter avec un aspect de nous-mêmes que nous ne voulons pas voir. C’est le très courant phénomène de la projection, bien illustré par une petite histoire qui m’a été racontée ce matin.
Toto est invité à dîner chez Tata. Ils se mettent à table avec Titi, une amie de Tata qui est là pour quelques jours. Titi et Tata ont chacune leur serviette en tissu et leur rond de serviette, mais Tata place à côté de Toto un joli petit panier plein de serviettes en papier. « Je suis capable de manger proprement » s’exclame celui-ci avec véhémence « une seule serviette me suffit ! ». Or Tata lui a mis plusieurs serviettes en papier à disposition, justement parce qu’elle les sait un peu fines et donc susceptibles de ne pas tenir jusqu’à la fin du repas.
Essayons de décoder ce minuscule épisode, aussi dérisoire que significatif. Toto a pris note que l’autre invitée a une serviette en tissu et un rond de serviette, alors que lui n’a droit qu’à des serviettes en papier: s’il avait reconnu son désappointement, il s’en serait libéré séance tenante, comprenant qu’il n’y avait eu chez la maîtresse de maison qu’un simple réflexe pratique: « Je ne viens que pour un repas, nous dînons en toute simplicité à la cuisine, pourquoi devrait-elle sortir une serviette en tissu? » Mais Toto a préféré occulter cette vilaine sensation d’inférorité qu’il ne connaît que trop bien. Refoulée dans l’inconscient, celle-ci a été projetée sur Tata : « Tata ne me donne pas l’importance que je mérite ... et elle préfère Titi ».
J'ai demandé à Tata quel âge avait Toto. Huit ans, douze ans ? Non, il en a cinquante.
*« Dialectique du Moi et de l’inconscient » (Folio Essais)